Et si on parlait de rémunération ? (par Sandrine Dorbes)

L'argent : tabou en entreprise ? Découvrez les conseils de Sandrine Dorbes

Contributors
Sandrine Dorbes
Fondatrice du cabinet How Much et experte en politique de rémunération
Sommaire

Je connais peu de gens qui aiment parler de rémunération. Ni de la leur ni de celle des autres. Il faut dire que la rémunération repose sur deux tabous forts en France : le tabou de l’argent et le tabou des émotions. Sur ce dernier point je devrais plutôt parler de la difficulté de les identifier, de les comprendre, et de les assumer.

Résultat : les discussions sur ce sujet sont difficiles. Mais je pense que l’on peut faire mieux, surtout en entreprise. Je vous propose une réflexion en quatre étapes :

1ère étape : Définir les règles du jeu

Avant toute chose, il faut bien définir les règles qui vont s'appliquer à toutes les personnes de l'entreprise. Autrement dit, il faut définir sa politique de rémunération, ou s'assurer de sa pertinence si vous en avez déjà une. Une politique de rémunération répond à quatre questions : 

Pourquoi ? 

Il s'agit ici d'être très au clair sur la stratégie de l'entreprise et les objectifs qu'elle cherche à atteindre. Il ne faut pas non plus négliger la culture de l’entreprise. Si les actions que l'on mène ne vont pas dans le sens de cette culture, on aura du mal à créer de l'adhésion.

Quoi ?

De quoi avons-nous besoin pour atteindre les objectifs que l'on s'est fixés ? C'est le moment où on se pose la question des profils que l'on souhaite attirer, valoriser et retenir. On fait le point sur les compétences, les métiers, la séniorité… Tout ce dont l'entreprise a besoin pour mettre en œuvre son "pourquoi".

Comment ?

Comment est-ce que l'on acquiert ce dont on a besoin pour atteindre nos objectifs ? Et pour ça on utilise les différents outils de rémunération que l'on a à notre disposition. 

Par exemple, le salaire fixe rémunère un poste. Une prime rémunère un événement exceptionnel, une surperformance opérationnelle ou encore une forme de pénibilité. Comment voit-on le partage des bénéfices et de la valeur créée ? Quels avantages sociaux correspondent aux besoins et attentes des équipes ?

Ce moment de réflexion permet de s'assurer que chaque outil puisse être utilisé conformément à sa vocation. Profitez-en !

Combien ?

C'est assez contre-intuitif car quand on parle de rémunération les gens veulent parler d'argent tout de suite. Et pourtant je persiste à dire que c'est la dernière question à se poser. 

Dans un premier temps il faut s’interroger sur ce que l’on peut se permettre en termes d'évolution de la masse salariale dans les deux années à venir. Oui j'ai bien dit les deux années à venir. Oui même si vous êtes une petite entreprise. 

Dans un second temps il faut définir la position que l’on veut avoir sur le marché : Souhaite-t-on se situer « au marché » (c'est-à-dire à la médiane) ? Ou veut-on plutôt être au-dessus ? Très au-dessus ? Ou carrément assumer le fait d'être un peu en dessous du marché ? Tout s’entend mais c'est une question qu'il faut trancher dès le départ.

Répondre à ces questions est un exercice qui vous permettra de définir un cadre clair. Ce sera aussi l’occasion d’avoir des discussions et des débats intéressants. C'est grâce à tout ceci que vous aurez des bases solides pour la suite.

Nota bene : À chaque évolution de la stratégie de l'entreprise et à chaque étape importante de son développement il faut se reposer ces questions pour s'assurer que sa politique de rémunération est toujours pertinente.

2ème étape  : Définir le bon niveau de transparence

Une fois que le cadre est bien posé, il est plus aisé de communiquer efficacement. Maintenant il s’agit de définir le bon niveau de transparence pour votre entreprise. 

Parfois quand je parle de transparence certaines personnes prennent peur : « nous ne sommes pas prêts à la transparence totale ». Mais entre la transparence totale et l'opacité absolue, il y a pas mal de nuances de gris à explorer. Le challenge est de trouver celle qui correspond le mieux à votre organisation.

Pour moi, le niveau minimum de transparence à mettre en œuvre doit permettre à vos équipes de répondre facilement à deux questions : 

  • Comment mon salaire a été défini ? 
  • Comment est-ce qu’il va évoluer dans le temps ?

Votre communication doit être assez précise pour que les réponses à ces questions soient claires. 

Spoiler : Dire que le salaire a été défini en fonction du marché, que son évolution dépend des entretiens d'évaluation annuels et du budget de l'entreprise ne suffit pas. Il faut être plus concret pour que les collaborateurs se projettent.

3ème étape : Créer un espace dédié

Il y a un mythe qui persiste : “il ne faut pas parler de son salaire lors de son évaluation annuelle”. Beaucoup d’entreprises l’interdisent. Oui encore en 2023. Si une personne aborde le sujet à ce moment-là, sa ou son manager doit lui répondre que ce n’est ni le lieu ni le moment d’en parler. Avouez que c’est un peu court. 

Pour beaucoup de gens le meilleur moment pour parler de sa rémunération est justement l’entretien annuel : on évoque son évolution, celle de son poste, sa performance… Si ce n’est pas le bon moment, alors c’est quand ? 

Parce que les équipes ont besoin de se projeter elles doivent savoir précisément quand et comment le sujet de la rémunération sera abordé individuellement. Rappelez-vous que si on veut parler de rémunération plus aisément, il faut parler de rémunération plus souvent.

4ème étape : Former les premières lignes

C'est tout de même plus facile de parler d'un sujet quand on le comprend bien. Et ce n’est pas parce que l’on est RH ou managers que parler de rémunération est inné ou aisé. Il faut impérativement former les personnes qui sont en première ligne, qui sont en contact direct avec les équipes et qui reçoivent leurs questions. D’ailleurs on dit souvent que les managers sont les premiers RH de l'entreprise. 

Si vous êtes audacieu·se·s, j’irai même un cran plus loin : et si on formait tout le monde ? Non mais sans rire. Si tout le monde recevait la même formation, si tout le monde comprenait mieux ce qu’est la rémunération, à quoi servent les différents éléments de rémunération, si tout le monde comprenait ce qui se joue en nous quand on parle de rémunération, alors on gagnerait toutes et tous en aisance. Les discussions seraient plus constructives. Fini les demandes d’augmentation sous prétexte que Michel a bien fait son boulot. On parlerait plus souvent d’argent c’est sûr, et on en parlerait mieux.

Le Bilan Social Individuel : bonne ou mauvaise idée ?

Une fois que vous avez passé ces quatre étapes, vous êtes assez armés pour communiquer. Toutes les questions que vous vous êtes posées pendant la définition de votre politique de rémunération vous ont permis de poser des bases solides sur lesquelles vous devez vous reposer pour définir le bon niveau de transparence, le bon endroit/moment pour parler de rémunération, et les informations à partager aux équipes. 

Il y a des outils qui peuvent vous aider à animer votre politique de rémunération au quotidien comme la grille de salaire ou encore le bilan social individuel. On me pose souvent la question de la pertinence de ce dernier. Le bilan social individuel (ou BSI) est la synthèse qui est remise individuellement à chaque salarié·e afin de lui présenter de manière simple et pédagogique sa rémunération ainsi que tous les avantages sociaux qui lui ont été versés dans l’année.

C'est un outil qui peut être très puissant à deux conditions : 

  • Que le délai entre la fin de l'année de référence et la remise du bilan social individuel soit le plus court possible ! Si vous remettez vos BSI 2022 en août 2023 cela ne va pas passionner les foules.
  • Que le BSI fasse l’objet d’une discussion individuelle même s’il ne s’est rien passé de remarquable dans l’année

Sans ces conditions, c’est un coup d’épée dans l’eau et un investissement inutile.

Rendre les avantages avantageux

Je constate trop souvent que les avantages salariaux sont les grands oubliés de la communication RH dans les entreprises. Et c'est bien dommage car ils représentent un coût considérable et ne sont pas valorisés à leur juste valeur. 

À mon avis, la première chose à faire c'est de bien les choisir. Il ne faut pas prendre un avantage salarié parce qu'il est à la mode ou parce que c'est «ce qu'on a toujours fait ». Il doit s'inscrire dans la politique de rémunération. Il doit correspondre aux besoins des salariés et de l'entreprise, mais aussi à la culture de cette dernière. 

Il y a des choses qui relèvent de la loi mais dont on ignore souvent le potentiel. Je regrette souvent de constater que les équipes ne sont pas très au fait de leur régime de prévoyance et des points forts de leur mutuelle. Prenez l'exemple de l’acompte sur salaire : beaucoup de personnes pensent qu'il s'agit d'un avantage accordé par l'employeur, que le demander peut être compliqué et que l'on risque d'essuyer un refus. Et on ne va pas se mentir, certaines entreprises entretiennent ce mythe pour ne pas avoir à gérer ce type de demande. Informer les équipes sur leurs droits et leur donner facilement accès à leurs avantages est un vrai plus et un effort de transparence qui sera apprécié. 

Parce que la rémunération ce n’est pas qu’une question d’argent.

Découvrez notre checklist politique de rémunération